LE MILLION
Réalisation de René Clair, 931.
d'après la comédie homonyme de Georges Berr et Guillemaud
AVEC
Annabella (Béatrice), René Lefèvre {Michel}, Vanda Gréville (Vanda), Paul Olivier (Crochard, dit Père la tulipe), Louis Alibert (Prosper), Constantin Stroesco (le ténor Sopranellil, Odette Talazac (la chanteuse), Raymond Cordy (le chauffeur de taxi), Jane Pierson et Pitouto (deux créanciers).
Un peintre, Michel, vit au jour le jour, couvert de dettes et poursuivi par ses créanciers. Un jour, une fortune inespérée lui tombe du ciel : il achète le billet n° 2029 de la Loterie nationale et gagne le gros lot : 1 million de francs. Mais au coup de chance fait suite, immédiatement, une première malchance. Le billet, certes, est bien le bon, mais il l'a oublié dans un veston qu'il a vendu à un brocanteur, Crochard, dit Père la tulipe. Il faut le retrouver tout de suite, mais ce n'est pas facile, ne serait-ce que parce que cette recherche provoque une avalanche de soupçons, de courses et de poursuites. Michel court après son veston, ses créanciers courent après lui, tandis que Père la tulipe, qui ne se rend pas compte de ce qui se passe, se met à courir et à fuir à son tour. A cette course effrénée viennent s'ajouter, les uns à la suite des autres, les policiers, plusieurs jeunes femmes, amies de Michel, et toute une bande aux activités plus ou moins honnêtes qui gravite autour du Père la tulipe, brocanteur certes mais aussi quelque peu gangster. Finalement, toute cette poursuite se conclut sur une scène d'opéra lyrique, où chante le ténor Sopranelli. C'est lui qui a acheté le veston en question, donc c'est à lui que Michel (et tous ceux qui se sont lancés à ses trousses) doivent chercher à reprendre le fameux billet. La dernière poursuite, au beau milieu du théâtre, semble se confondre avec la représentation que donne Sopranelli ; avec le veston qui vole de l'un à l'autre comme une balle, elle finit par se transformer en une véritable partie de rugby. Michel se retrouve par un heureux coup du sort avec son veston dans les mains. Et donc, avec le billet de 1 million.
Généralement considéré comme le chef-d'œuvre de René Clair, Le Milllion est le résultat d'une fusion particulièrement heureuse entre la tradition du vaudeville et les
expériences d'avant-garde. Dans la structure circulaire de la course poursuite, classique chez René Clair, le texte sert de support aux gags, aux digressions, au dénouement d'actions indépendante.
Le sujet original du Mi/lion est un vaudeville écrit une vingtaine d'années auparavant par Georges Berr, de la Comédie-Française, et par Marcel Guillemaud. René Clair, par une série de trouvailles visuelles et sonores, notamment l'utilisation de la musique et des chansons, parvint à adapter le vaudeville fondé sur les dialogues aux exigences de l'écran sans rien sacrifier à l'image, avec des résultats étonnants qui feront date.
L'irréalité habituelle du vaudeville, en effet, devient à l'écran une irréalité suggérée, voire dictée par les rythmes musicaux. L'action, à chaque instant, devient ballet, ballet entretenu non seulement par la musique mais aussi par les chansons, partie intégrante de la dynamique de l'action. La danse, par ailleurs, n'est pas une chorégraphie gratuite, reposant seulement sur les valeurs plastiques ; en fait, elle participe à la poursuite et à la fuite, soutenues par un mécanisme vertigineux de réactions en chaîne. Après avoir décrit une girandole de situations créées exprès pour tenir les fils de ce mécanisme — un déluge de quiproquos dans lesquels tous les personnages ne tardent pas à être impliqués—, René Clair réussit ensuite à représenter cette course poursuite selon des procédés qui, bien qu'ils doivent quelque chose à la danse, se rapprochent par ailleurs de la dynamique et du rythme haletant des films d'action.
Autre trouvaille très savoureuse : l'usage de la parole.
Dans Le Million, au contraire, René Clair utilise la parole comme un élément enrichissant du visuel : les dialogues ne se substituent pas à l'action mais la suscitent et la provoquent. L'exemple le plus caractéristique est le rythme qu'entretient le mot « million » tout au long du film ; il vole de bouche en bouche, entraînant maintes situations rocambolesques et révélant, par là même, la psychologie des personnages mieux que n'auraient pu le faire les dialogues les plus élaborés.