En 1938, Losey aborde le cinéma comme monteur de films scientifiques pour la Rockefeller Foundation. En 1946, il obtiendra l'Oscar du film du court métrage pour sa première œuvre de fiction : A Gun in his Hand (1945). Mais sa carrière cinématographique ne débute véritablement que lorsque, grâce à l'appui de Dore Schary, patron « libéral » de la RKO, il réalise un apologue antiraciste, Le Garçon aux cheveux verts (The Boy With Green Hair, 1948), dont il a l'intelligence de faire une sorte de poème, de ballade, plutôt qu'un prêche ou un plaidoyer. Les films ultérieurs de sa courte carrière hollywoodienne relèvent plutôt du genre policier, mais il les transforme en récits d'apprentissage et en évocations de la solitude humaine : La Grande Nuit (The Big Night, 1951) en est à ce double titre l'exemple le plus convaincant.
C'est alors que Losey commet l'erreur d'accepter de diriger en Italie une vedette vieillissante, Paul Muni, dans une coproduction sans grandes garanties financières. Autant l'ambiance culturelle de l'Italie lui plaît, autant le tournage s'avère décevant : le metteur en scène ne s'accorde ni avec la vedette ni avec les producteurs. Leurs discussions ralentissent le travail et, pour comble de malchance, Losey pâtit de sa réputation d'homme de gauche. Le film une fois terminé, la menace que Losey avait cru fuir se précise : en son absence la chasse aux sorcières s'est accélérée et son nom figure désormais sur la liste noire (pour « refus de répondre » à une convocation de la commission McCarthy!). Le film, " Un homme à détruire" (Imbarco a mezza-notte, 1952), sort sous la signature d'« Andréa Forzano », et le nom du scénariste Ben Barzmann (également sur la liste noire) est supprimé.
Dans l'impossibilité de retourner à Hollywood, Losey se retrouve en septembre 1952 à Londres, sans travail et avec fort peu d'argent. En outre, la production britannique dépend alors trop des relais de financement et de distribution américains pour que le cinéaste puisse travailler sous son nom. En Grande-Bretagne, Losey écrit des scénarios pour des films de court métrage et tourne des films plus plus émotionnels, telle l'interprétation de Léo McKern dans Temps sans pitié.
Le cinéma de Losey est essentiellement cérébral. Certes, le cinéaste parvient à y inclure l'émotion et même la simple appréhension du monde physique tel qu'il nous entoure comme, par exemple, les plans de fleurs et d'animaux dans Le Messager. Mais, quel que soit le sujet traité, ce qui prédomine chez lui, c'est manifestement la volonté de « sérieux » d'un homme pour qui les idées générales existent : idées de critique sociale, mais aussi idées métaphysiques comme dans M. Klein (1976). Cela ne signifie pas pour autant que Losey s'attache à démontrer des thèmes ou à suggérer des solutions. Comme pour tous les grands cinéastes américains, un film est pour lui d'abord la présentation spectaculaire d'un conflit de caractères. Son goût pour le débat d'idées ne verse jamais, dans l'exposé schématique.
Le tournage de M. Klein s'était achevé en pleine fièvre créatrice; travailleur scrupuleux, Losey, plus que sexagénaire, abrégeant le plan de tournage et simplifiant les problèmes, nous donna l'un de ses films les plus réussis. Une certaine part d'improvisation était devenue possible, alors que le cinéaste restait fidèle au procédé du « pre-designing » (sorte de découpage dessiné) qu'il avait abondamment utilisé. C'est que, pour Losey, le travail apparaît aussi nécessaire que la respiration, en quoi il s'apparente aux cinéastes américains de la « vieille école ». Sans doute est-ce là un contrepoids à son pessimisme foncier : de Gipsy (The Gypsy and the Gentleman, 1957) à Cérémonie secrète (Secret Ceremony, 1968), il donne l'impression de ne parler que d'échecs ou de déchéance.
Depuis Cérémonie secrète, les films de Losey se gonflent de sensations visuelles.
Au gré de cette évolution, le style visuel de Losey, son aisance à diriger les acteurs et sa volonté farouche de toujours viser haut en ont fait l'un des plus grands cinéastes du monde, l'un de ceux dont on peut dire, dès lors, que, malgré les qualités de ses premiers films (et quelques déboires dans sa seconde période), il n'a jamais été aussi grand qu'en vieillissant.
Il meurt le 22/06/1984 à Londres .
A GUN IN HIS HAND 1945
LE GARCON AUX CHEVEUX VERTS ... THE BOY WITH GREEN HAIR 1948
HAINES ... THE LAWLESS 1949
LE RODEUR ... THE PROWLER 1950
M 1950
LA GRANDE NUIT ... THE BIG NIGHT 1951
UN HOMME A DETRUIRE ... STRANGER ON THE PROWL 1951
LA BETE S'EVEILLE ... THE SLEEPING TIGER 1954
UN HOMME SUR LA PLAGE... A MAN ON THE BEACH 1955
L'ETRANGERE INTIME ... THE INTIMATE STRANGER 1955
TEMPS SANS PITIE ... TIME WITHOUT PITY 1956
GIPSY ... THE GYPSY AND THE GENTLEMAN 1957
L'ENQUETE DE L'INSPECTEUR MORGAN ... BLIND DATE 1959
LES CRIMINELS ... THE CRIMINAL 1960
LES DAMNES ... THE DAMNED 1960
EVA ... 1961
POUR L'EXEMPLE KING AND COUNTRY 1964
MODESTY BLAISE 1966
ACCIDENT 1967
BOOM 1968
CEREMONIE SECRETES ... SECRET CEREMONY 1968
DEUX HOMMES EN FUITE ... FIGURES IN A LANSCAPE 1970
LE MESSAGER ... THE GO BETWEEN 1971
L'ASSASSINAT DE TROTSKY ... THE ASSASSINATION OF TROTSKY 1972
MAISON DE POUPEE ... A DOLL'S HOUSE 1973
UNE ANGLAISE ROMANTIQUE... THE RPMANTIC ENGLISHWOMAN 1975
M.KLEIN 1976
LES ROUTES DU SUD 1978
DON GIOVANNI 1979
LA TRUITE 1982
STREAMING 1984