Clouzot, né à Niort en 1907, est venu tout enfant à Paris. Après le baccalauréat, il entreprend tour à tour des études diverses et éclectiques, passant des mathématiques au droit, avec la même ambition fébrile qui le lancera ensuite à la conquête des milieux bien « parisiens ». Milieux où il évoluera d'ailleurs en affichant toujours le même détachement hautain soigneusement calculé et le même mépris subtilement arrogant. Le jeune ambitieux saura se frayer un chemin.
Il sera secrétaire d'un homme politique célèbre, Louis Marin, puis du chansonnier René Dorin (père de Françoise Dorin), il abordera le monde du spectacle par le biais du journalisme ; de 1927 à 1930, il collabore régulièrement au quotidien Paris-Midi. C'est alors qu'il rencontre Henri Jeanson, qui a débuté comme journaliste avant de devenir un dialoguiste très en vogue et qui va l'introduire dans les milieux du cinéma. Clouzot va faire ses débuts comme scénariste (pour des films de Carminé Gallone, Tourjansky, Decoin, etc.) et comme assistant-réalisateur, auprès de metteurs en scène comme Litvak ou Dupont, entre autres.
Soudain, alors que la carrière de Clouzot s'annonce fort prometteuse, une grave affection pulmonaire le contraint à interrompre toute activité et il doit faire un séjour de cinq ans dans un sanatorium suisse. « Ce fut peut-être un bien, dira-t-il plus tard, car pendant ce temps, j'eus tout loisir de réfléchir, d'écrire et d'apprendre. »
De retour à Paris en 1938, Clouzot redouble d'activité. Il se signale même comme auteur de théâtre non dépourvu de talent (il écrit « On prend les mêmes » pour le Grand-Guignol et « Comédie en trois actes », qui sera créée en 1941 à la Michodière). Il poursuit par ailleurs sa carrière de scénariste, notamment avec Les Inconnus dans la maison (1942) de Henri Decoin. Sa position à la Continental va lui permettre de faire ses premières armes de metteur en scène avec L'assassin habite au 21 (1942), un film adapté d'un célèbre roman policier de Stanislas-André Steeman. La principale interprète féminine, aux côtés de Pierre Fresnay et Jean Tissier, est Suzy Delair (alors qualifiée d'artiste la plus « sexy » du cinéma français), avec laquelle il vit dans un appartement proche de Notre-Dame.
Avec ce premier essai, qui obéit aux conventions d'un genre oscillant entre le roman policier classique et le thriller à l'américaine, Clouzot perfectionne son métier; il acquiert ainsi la maîtrise technique qui lui permettra de déployer son talent dans des réalisations plus personnelles. Œuvre de commande, L'assassin habite au 21 annonce néanmoins les films plus ambitieux de Clouzot par une certaine volonté de donner au récit des structures rigoureuses et logiques et par l'intensité dramatique du suspense, un art dans lequel le metteur en scène passera maître...
Cette construction rigoureuse se retrouve dans le film suivant de Clouzot, Le Corbeau (1943). Une œuvre beaucoup plus « noire », où le cinéaste dissèque d'un œil impitoyable les convulsions internes d'une petite ville en proie à une épidémie de lettres anonymes. Si Clouzot traduit magistralement le lent cheminement des soupçons et l'enchaînement implacable des rebondissements dramatiques, il s'attache avant tout à montrer comment l'explosion des peurs et des haines fait soudain voler en éclats la façade de fausse respectabilité; chaque individu, chaque famille, chaque communauté sociale recèle de coupables secrets. Vision pessimiste d'un auteur qu'obsède le sens du mal et qui analyse avec une sombre délectation les mobiles les plus inavoués et les plus sordides de l'âme humaine.
Suivra Quai des Orfèvres (1947), un film qui marque le retour du metteur en scène après quatre années d'un silence forcé. Une absence qui n'est pas due cette fois à un mal physique, mais à une interdiction « civique ». On n'a pas pardonné à Clouzot d'avoir réalisé ses deux premiers films (et surtout d'avoir montré un tel talent) grâce à la firme allemande Continental. On lui reproche aussi d'avoir donné, dans Le Corbeau, une image infamante et diffamatoire de la vie provinciale française et d'avoir ainsi, consciemment ou non, abondé dans le sens de la propagande national-socialiste dénonçant la corruption démocratique. Certains n'hésitent pas même à affirmer — au mépris de toute vérité — que les Allemands ne se sont pas fait faute d'exploiter le film dans ce sens.
Pour son retour à la mise en scène, après ces quatre années d'inactivité forcée, Clouzot devra donc se montrer particulièrement habile. Pour réduire au silence ses accusateurs, il devra à la fois se garder prudemment de tout scandale et faire la démonstration éclatante de son talent.
Considéré comme une des meilleures réussites de Clouzot, Quai des Orfèvres reste un classique du film policier français. Le scénario, parfaitement construit, nous fait pénétrer, par le truchement d'une intrigue policière habilement menée, dans les coulisses du monde pittoresque et coloré du music-hall. Ce drame de l'amour et de la jalousie a pour toile de fond le « Quai », la grande centrale de la police parisienne. .
Se détache la figure de l'inspecteur Antoine (admirablement campé par Louis Jouvet), que le spectateur suit dans ce qui n'est pour lui qu'un travail habituel. La cruauté, ici, naît en quelque sorte de la banalisation de la violence, d'une sorte de climat feutré. Les brutalités de certains interrogatoires font partie du métier des policiers, au même titre que le danger ou les rapports administratifs.
Conforté par le succès de Quai des Orfèvres, Clouzot entendait bien prendre sa revanche sur ses détracteurs. En 1949, ce sera Manon, une version actualisée de l'œuvre de l'abbé Prévost, dont il transporte les héros aux temps qui suivirent immédiatement la Libération. Michel Auclair, moderne Des Grieux, hier encore maquisard, rencontre une Manon (ce fut la révélation de Cécile Aubry) qui s'est compromise avec les Allemands,
Clouzot semble alors épuisé après le tournage de Manon. En 1950, il réalise Miquette et sa mère, d'après une comédie de Fiers et Caillavet. Un agréable divertissement que l'on peut considérer comme une œuvre mineure. Le metteur en scène, qui s'est séparé de Suzy Delair, (qu'il avait dirigée dans L' assassin habite au 21 et Quai des orfèvres( 1947) réunissant Louis Jouvet Simone Renant et Bernard Blier film qui value a Suzy Delair la notoriété internationale )éprouve alors le besoin de prendre un certain recul vis-à-vis de son œuvre. A la recherche d'une inspiration nouvelle, il part à la découverte du Brésil. Mais les difficultés financières l'empêcheront de mener à terme le documentaire qu'il a entrepris et qui restera inachevé. En revanche, il en ramènera un livre, « Le Cheval des dieux ». Il rencontrera également, au cours de ce voyage, sa future épouse, Vera Lapara, fille du délégué brésilien à l'O.N.U connue ensuite sous le nom de Vera Clouzot. Il la dirigera dans : Le salaire de la peur avec Yves Montand et Charles Vanel .
S'il n'a pu réaliser son projet initial, Clouzot se servira néanmoins de son expérience sud-américaine pour Le Salaire de la peur (1953), adaptation d'un roman de Georges Arnaud. Un film entièrement axé sur un terrifiant suspense. Dans le décor âpre et sauvage d'un coin perdu du Venezuela, quatre desperados, attirés par l'appât d'une prime mirifique, acceptent de transporter, dans des camions presque hors d'usage et le long de dangereux chemins de montagne, un redoutable chargement de nitro-glycérine. Clouzot prouve son efficacité et s'affirme comme un maître de l'angoisse.
Les Diaboliques, tourné en 1955, n'échappe pas non plus à cette recherche un peu systématique de l'effet.
Clouzot se laisse aller ici à son goût toujours plus marqué pour l'horreur, pour l'« insoutenable » et il ne nous fait pas grâce de cadavres ambulants ou de morts qui ressuscitent dans leur salle de bains. Cependant, ces obsessions macabres sont justifiées par le scénario; le couple des amants « diaboliques » entreprend précisément de se débarrasser de l'épouse gênante en la faisant à la lettre « mourir de peur », dans le décor particulièrement propice et sinistre à souhait d'un collège isolé.
Une œuvre ambitieuse, aux prétentions métaphysiques, où le metteur en scène tente de nous communiquer l'angoisse cauchemardesque et le désespoir d'un monde inhumain et ténébreux où personne ne s'avance à visage découvert. Entre ces deux réalisations se situe Le Mystère Picasso (1956), sorte de réflexion sur la création artistique, où l'œil de Clouzot montre autant d'acuité que celui de son modèle.
Viennent ensuite La Vérité (1960), avec Brigitte Bardot (un succès commercial, mais un tournage difficile et éprouvant), Clouzot commence un nouveau film, L'Enfer. Un titre tristement prophétique : la réalisation doit être interrompue, car le metteur en scène, déjà très affecté par la mort de sa femme Vera, doit entrer d'urgence en clinique, victime d'une grave rechute pulmonaire ; puis il est terrassé par trois infarctus successifs qui engendrent chez lui un profond état dépressif. Encore huit années de silence, d'où il émergera seulement en 1968 avec La Prisonnière, où il utilise pour la première fois la couleur (si l'on excepte Le Mystère Picasso). Ce sera l'adieu de Clouzot au cinéma. Sa propre mort surviendra neuf ans plus tard, en 1977 le 12 janvier.
LA TERREUR DES BATIGNOLLES 1931
L'ASSASSIN HABITE AU 21 1942
LE CORBEAU 1943
QUAI DES ORFEVRES 1947
MANON 1948
RETOUR A LA VIE 1949
MIQUETTE ET SA MERE 1950
LE SALAIRE DE LA PEUR 1953
LES DIABOLIQUES 1955
LE MYSTERE PICASSO 1956
LES ESPIONS 1957
LA VERITE 1960
L'ENFER(inachevé) 1964
LA PRISONNIERE 1968
HENRI GEORGES CLOUZOT