Son nom était inséparable de celui d'Ingmar Bergman et de son univers onirique et épuré. Ingrid Thulin était si étroitement liée au parcours introspectif du cinéaste suédois qu'il lui redonna le goût du cinéma au moment où elle songeait à se retirer, et qu'elle commença à s'en désintéresser lorsqu'il trouva l'inspiration en d'autres visages, avant lui-même de s'affranchir de l'image et de retourner au silence. Pourtant, limiter cette charismatique et intelligente comédienne à sa seule collaboration avec l'auteur des « Fraises sauvages » serait méconnaître l'éclectisme des ambitions artistiques qui l'animèrent. Peut-être même est-ce pour s'émanciper de cette tutelle, et de la réputation d'« actrice intellectuelle » qui lui était attachée, qu'elle se mit à voyager et à internationaliser sa carrière, au point de verser occasionnellement dans des films que seule sa présence parvenait à sauver du mauvais goût.
Scandinave, belle, intelligente et sexuellement libérée, Ingrid Thulin était née aux confins de la Laponie, à Sol-leftea, le 27 janvier 1926. Ses lointains ancêtres venaient du pays de Liège, invités par Gustave III, à la fin du XVIIIe siècle, pour travailler le fer et développer la sidérurgie. En 1945, à l'âge de 16 ans, elle quitte ses forêts septentrionales pour Stockholm, et s'inscrit dans une école de commerce, qu'elle abandonne bientôt pour travailler. Simultanément, elle suit les cours de danse de Lalla Cassel et de diction d'Axel Witzansky, avant de présenter en 1948, le concours d'entrée du Dramaten, le Théâtre royal dramatique, où elle est reçue, quinze ans après Ingrid Bergman. Elle y fera ses débuts dans la pièce de Jean Anouilh « Le rendez-vous de Senlis ».
Ses premiers contacts avec le cinéma datent de la même époque, mais se limitent à des rôles secondaires, dans les registres mélodramatique et comique, qui ne la distraient guère de ses activités théâtrales. C'est à peine si ces productions parviennent jusqu'à nous, à une époque où les publics belge et français sont surtout sevrés de films américains longtemps interdits par l'occupant allemand. Entre-temps, Ingrid Thulin a fait un voyage à Paris, pour suivre les cours de pantomime d'Etienne Decroux, et est passée du Théâtre royal à une compagnie privée, avant de rejoindre Malmô, ville de Suède méridionale. C'est dans ce cadre qu'elle va faire la rencontre essentielle, celle d'Ingmar Bergman, alors directeur de la troupe municipale.
En 1956, le cinéaste a déjà huit films à son actif, dont « Le 7e sceau » et « Sourires d'une nuit d'été », avec lequel il vient de remporter le prix de l'humour poétique au Festival de Cannes. Pour accompagner, de Stockholm à Lund, un vieillard arrogant et en bout de course — mais conscient de l'échec de sa vie — dans « Les fraises sauvages », il fait confiance à cette comédienne de 30 ans qui lui tombe du ciel. Choix judicieux, dans la mesure où Ingrid Thulin obtiendra en 1958, à Cannes, la palme de la meilleure interprétation pour « Au seuil de la vie », et deux ans plus tard, le prix de la plus grande actrice européenne, à Rome. De régionale, sa réputation avait gagné le continent, et ne tarderait pas à devenir mondiale.
En 1960, elle est « Mademoiselle Julie », sur la scène de Stockholm, lorsque Minnelll lui offre de devenir Marguerite Laurier dans « Les quatre cavaliers de l'apocalypse ».
La période californienne d'Ingrid Thulin fera long feu. Du moins en gardera-t-elle le goût du soleil, qui lui fera jeter l'ancre à Rome, dès 1962, et un certain mépris du mâle, sur lequel elle avait déjà perdu toute illusion.
Malgré quelques belles envolées, loin des frimas et de la rigueur Scandinaves, comme la magnifique épure sur la guerre d'Espagne qu'est « La guerre est finie », d'Alain Resnais, la gravité lumineuse de son visage s'accommode davantage de la sobriété visuelle et des obsessions philosophiques d'Ingmar Bergman comme des huis clos érotiques de Mai Zetterling. Mais la monotonie nuit, et c'est avec délice qu'elle acceptera de se plonger dans les orgies baroques de Luchino Visconti, aux antipodes du style austère de Bergman, et dans les raffinements kitsch et sado-masochistes de Tinto Brass. Reste qu'en mère incestueuse, comme en diva des toundras murée dans le silence, Ingrid Thulin n'en demeurera pas moins écrasante de présence dans les deux genres.
Si son choix de l'Italie comme lieu de résidence avait considérablement réduit sa présence sur scène au cours de ces trente dernières années, Ingrid Thulin aura su, dès 1970, compenser cette absence par une curiosité nouvelle pour la réalisation et l'écriture. De scénarios fantastiques essentiellement, un genre qu'elle aimait pour ce qu'il est : un éloignement de la réalité. Entre deux distractions intellectuelles, elle cultivait son jardin romain et retrouvait occasionnellement, en quelque villégiature d'Europe, Harry Schein (son mari depuis 1956), qui avait toujours préféré la beauté des aurores boréales à l'exubérance du climat méditerranéen. Et, quand d'aventure, il nous arrivait d'encore l'apercevoir dans un film, c'était pour constater que, si le temps avait laissé son empreinte, elle n'avait pas son pareil pour sauver les meubles et tirer son épingle d'entreprises aussi contestables que « La maison du sourire », de Marco Ferreri.
Elle est décédée le 07 janvier 2004.
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INGRID THULIN BIOGRAPHIE CINEREVES