L'ENFANT SAUVAGE
France. 1969.
RÉALISATEUR : François Truffaut.
SCÉNARIO et DIALOGUES : François Truffaut et Jean Girault, d'après « Mémoire et rapport sur Victor de l'Aveyron », par Jean Itard. IMAGES : Nestor Almendros. SON : René Levert. MUSIQUE : Antonio Vivaldi, Antoine Duhamel.
Avec : Jean-Pierre Gargol (l'enfant), François TEXTE : Truffaut (Docteur Itard), Françoise Rémy, Jean Daste, Claude Miler, Annie Miler.
En 1798 une femme dans la forêt aperçoit une étrange créature, elle fuit, alerte le village. Une battue s'organise, les chiens entament la poursuite, l'un d'eux accule la créature, il est tué. Mais, cerné, l'être est capturé. C'est un garçon de 11 ans environ. Les autorités sont prévenues, l'enfant enchaîné passe d'une grange à la prison, de là à l'Institut des Sourds-Muets à Paris, où il devient objet de curiosité et de dérision. Le docteur Itard obtient la garde et l'enfant, sa gouvernante madame Guérin le secondera, elle est appointée par l'État. Dès lors, Itard et madame Guérin commencent un travail passionnant. Cet enfant muet, nu, sale, devient progressivement un petit garçon vêtu comme les autres. A l'insensibilité farouche succède petit à petit l'éveil de la sensibilité, l'ouverture aux autres, la possibilité d'écouter, d'entendre, de prêter attention. Itard doit aussi lutter contre les autorités. Pour le professeur Plnel, « l'Enfant Sauvage de l'Aveyron » est et demeurera un idiot qu'il faut hospitaliser à Bicêtre. Pourtant, après d'épuisants efforts, « l'Idiot » est homo-faber, l'idiot sait lire. L'idiot a besoin de tendresse, rit et pleure. Mais, sans doute ne parlera-t-il jamais et l'attrait de la nature, de la liberté l'entraîne vers des fugues dont il revient, seul, vers le bercail, de la maison d'Itard.
Pour les spécialistes, la question des Enfants Sauvages est sujet de controverse. Certains nient même la possibilité pour un jeune enfant de survivre dans la solitude. François Truffaut s'est attaché au cas réel, certain, de l'enfant trouvé dans l'Aveyron. Il a suivi de très près le journal du docteur Itard. Peut-être, toujours aux yeux des spécialistes, ses procédés qui ont inspiré, entre autres, madame Montessori, sont-ils vieillis périmés ; ils demeurent pour le spectateur un spectacle fascinant. A la capture de l'enfant traitée en un rythme rapide, foisonnant, presque brouillon, succède un style maîtrisé, épuré. Rien n'est inutile, tout est retenu, calculé, à sa place. Itard devait trouver une méthode, dominer ses nerfs, sa sensibilité.
Truffaut interprète le rôle d'une manière presque bressonnienne. Sous le calme, la froideur apparente de l'expérimentateur, on sent vibrer la passion. A cette volonté tendue, répond en écho l'effort plus chaleureux, plus visiblement humain de madame Guérin. Près d'eux, l'enfant ressent petit à petit de nouveaux besoins, il devient sensible au froid, accepte les vêtements, la présence. Capter son attention est l'essentiel du travail, sans quoi rien ne peut se faire. Nul chantage affectif dans cette besogne mais, partant d'une observation aiguë, de tous les instants, l'utilisation des goûts, des tendances de Victor. L'eau, le lait sont les appâts qui l'entraînent vers l'effort prodigieux qui lui est demandé. Les promenades sont ses récompenses, l'obscurité sa punition. Il a, chose curieuse, un sens inné de l'ordre qui devient un appoint précieux. De l'objet accroché sur sa représentation dessinée au tableau, enlevé, repris, il passe ensuite au mot écrit qui le symbolise. Les révoltes, les colères, sont nombreuses. L'entraînement trop intensif les suscite, madame Guérin est là pour tempérer les excès de Itard.
Dans la calme maison, une suite de « miracles » jalonnent le chemin difficile coupé par les galops, les trots éperdus de l'enfant dans la campagne. Le petit garçon est admirable de sobriété. Répugnant d'abord, bête prise au piège, éperdue et farouche, il n'entre que lentement dans l'humanité. Le moindre de ses gestes, le plus petit regard d'attention, de peur, de joie devient un témoignage précieux. Truffaut a su, sans perdre la continuité quotidienne, montrer le chemin parcouru par des scènes profondément significatives. Le film entier témoigne d'une lucidité, d'une extrême honnêteté. Et cette rigueur sans faille dans la pensée, dans l'expression aboutit à une œuvre maîtrisée, sensible sous son apparente froideur, et profondément humaine.