GOTO, L'ILE D'AMOUR
France. 1968.
REALISATEUR: Walerian Borowczyk.
Avec
Pierre Brasseur (Goto III), Ligia Branice (Glossia. son épouse). Jean-Pierre Andréani (Lieutenant Gono), Guy Saint-Jean (Grozo), Ginette Leclerc (Gonasta, mère de Glossia), René Dary (Gomor, père de Glossia), Fernand Bercher (l'institueur), Michel Thomas (Gra).
L'île de Goto est tout ce qui reste d'un grand archipel englouti par le séisme de 1887. Rien n'arrive à Goto, qui vit sur elle-même. Rien n'en part. Un univers concentrationnaire, dominé par Goto III, le gouverneur. Du sommet de sa forteresse, avec ses jumelles, il peut voir travailler les esclaves, les pauvres ouvriers des carrières de pierre. Il voit aussi la mer, enserrant l'île comme un étau. Et il voit une plantation de pommiers, gardée par des soldats.
Couloirs de ciment, trappes de fer, miradors, tout cela c'est Goto. Goto et sa forteresse.
A Goto, on ne punit pas « directement » les condamnés, on les fait combattre, deux par deux, jusqu'à la mort du vaincu. C'est à la fois une distraction et l'accomplissement de la justice. Pas de temps perdu, pas de gâchis. Au cours de l'un de ces combats, l'affreux petit Grozo, souple et malin comme un singe, a triomphé du géant Gra. Ayant triomphé, il sera pardonné. Mieux encore, il sera chargé d'une tâche honorifique : l'entretien des chaussures du gouverneur et de sa jolie femme, Glossia.
D'autre part le gouverneur possède des chiens. Ces chiens vivent en cage, à l'image des hommes. Certains de ces chiens sont féroces. La deuxième tâche de Grozo sera de soigner les chiens. Troisième tâche : la destruction des mouches. Les mouches sont le fléau de Goto. Grozo sera donc l'assistant du vieux Gomor et son successeur, quand il mourra. Tuer froidement le vieux Gomor, faire passer sa mort pour un accident, prendre la place vacante, voilà la première étape de l'ascension de Grozo dans la hiérarchie de la puissance et des honneurs. Mais il a vu Glossia, et Glossia l'obsède, mais celle-ci est pour lui inaccessible. Par dépit, il emportera les vieux vêtements de la jeune femme dans la maison close de la forteresse et les fera vêtir à la douce Gonasta, mère de Glossia.
Or, Glossia aime Gono, l'officier maître du manège, et Grozo le sait : il les espionne. Glossia rêve de s'enfuir avec Gono, sur une barque préparée, chargée de vivres... Comment Grozo, l'obscur Grozo, pourra-t-il prévenir Goto III, le gouverneur? Cela s'avère difficile, car les « grands » sont bien gardés... Il y arrive pourtant et, un peu plus tard, profitant d'une inattention de Goto III à surveiller à la jumelle sa femme et Gono, il l'assassine! Tout est diaboliquement fait, Gono sera soupçonné de cet assassinat, tandis que Grozo retournera innocemment auprès de ses chiens.L'atroce justice de l'île se met en branle. Gono mourra, et Grozo régnera! Mais Glossia, celle qu'il croyait avoir enfin conquise, Glossia va lui échapper dans une fin tragique.
Goto est un film-fable, une allégorie où, à travers une histoire simple, une multitude d'interprétations sont possibles. Il ne s'agit pas, à proprement parler, d'un film difficile mais d'un film ouvert qui attend et demande la participation du spectateur. Chacun y trouvera son compte et apportera dans la balance le poids, lourd ou léger, de sa culture et dans le cheminement du récit l'orientation de ses préoccupations ou de ses convictions personnelles. Sous l'onirisme et l'ésotérisme du film, sous le goût de l'apologue et du fantastique, sous cet anti-cinéma qui apporte au cinéma la même richesse que l'anti-théâtre apporte au théâtre, transperce cependant une atmosphère qui traduit la vision personnelle du monde de Borowczyk. Ce monde, c'est celui de l'absurde de la condition humaine, la peinture d'un univers noir et clos, le portrait d'êtres enfermés dans leurs habitudes, leurs traditions, leurs contradictions, leurs tabous, leurs remords... Mais, c'est aussi le besoin de s'évader, la croyance en la liberté qui existe peut-être au-delà des eaux qui encerclent l'île. C'est l'espoir d'échapper par et pour l'amour, à l'univers concentrationnaire. Mais c'est encore la mort qui guette et, peut-être grâce à l'amour, une renaissance dans un monde merveilleux.