Henri Verneuil, Michel Audiard et François Boyer, qui s'étaient enfermés à trois pour écrire l'adaptation, développèrent deux personnages hors du commun. Alcooliques, mais jamais ivrognes, tous deux parcouraient le monde accoudés au zinc des bistrots. L'aîné remontait le Yang-Tseu-Kiang et le cadet retrouvait la chaleur de l'Espagne. Ils voyagaient le cœur léger mais la tête lourde de souvenirs.
« Nous sommes restés très fidèles à Blondin qui a fait des déclarations formidables à la fois à la sortie du film et chaque fois que le film repassait à la télévision, souligne Henri Verneuil. Il avait la gentillesse de dire que nous avions mieux réussi le film que lui son livre, ce qui était entièrement faux parce que son roman était superbe. »
Pourtant, il s'en fallut de peu que Un singe en hiver ne vit jamais le jour. En effet, au départ, Gabin, Verneuil et Audiard étaient associés sur une autre histoire inspirée d'un roman de Roger Vercel, Au large d'Eden, dans laquelle l'acteur devait interpréter un patron de chalutier en partance pour la pêche à la morue.
« Nous avions signé — Gabin, Audiard, Verneuil — trois films avec la Métro Goldwyn Mayer France, explique Henri Verneuil. Nous étions donc en pleine préparation de ce film avant lequel nous avions déjà proposé Un singe en hiver. Mais les Américains n'ont pas très bien compris l'histoire et ont pris ça pour une histoire d'ivrognes et l'ont refusée. Nous sommes donc partis sur cette aventure racontant l'une des premières expéditions de la pêche à la morue. Le contrat de Gabin précisait une date impérative de tournage. Et nous avons eu à faire face à de grosses difficultés en raison des icebergs, des décors. C'était un film qui dépassait très largement les possibilités françaises. Et puis amener Gabin dans ces endroits relevait de l'exploit parce que pour lui Paris-Nice c'était déjà une expédition. D'un commun accord, tous, nous avons décidé d'arrêter la préparation de ce film. Mais la date de tournage de Gabin approchait et nous n'avions pas le temps d'aller chercher un autre sujet. Alors nous sommes revenus à la charge et j'ai dit aux Américains : "Écoutez, il n'y a qu'une chose de prête, c'est Un singe en hiver." Ils ont accepté pour ne pas avoir à payer de dédit à Gabin. Ça a été notre plus beau jour aussi bien pour Gabin, pour Audiard, pour moi que pour François Boyer, parce que nous tenions beaucoup à ce film. Et ça a été une de nos plus belles aventures. Pour l'autre rôle principal j'ai parlé de Belmondo. Gabin a tout de suite dit : "Belmondo c'est la bonne idée", sans hésiter une seconde. Lorsque j'ai contacté Jean-Paul il m'a simplement dit : "C'est toi qui fais l'adaptation avec ton équipe, c'est toi qui vas mettre en scène alors dis-moi simplement : est-ce que je sers la soupe à Gabin ?" Comme il y avait deux rôles face à face je comprends très bien qu'un acteur se pose cette question. J'ai dit à Jean-Paul : "Regarde-moi bien dans les yeux : on peut mentir à quelqu'un à court terme mais je ne me mettrai jamais dans cette situation et je te dis : Vous avez deux rôles à égalité totale. Alors il m'a dit : "Je fais ce film"... »
Ainsi, par un tranquille hiver normand, Belmondo se retrouva face au monstre sacré. Gabin ne possédait pas la réputation d'être un homme chaleureux et à aucun moment il ne s'approcha de Jean-Paul pour lui souhaiter la bienvenue. Intrigué et timide, le cadet décida de respecter son intimité et, en dehors des prises de vues, évita de lui adresser la parole, préférant s'installer dans un coin pour lire L'Equipe. Remarquant que cette jeune gloire ne se prenait aucunement au sérieux et paraissait authentiquement passionnée de sport, Gabin finit par s'asseoir à côté de Belmondo et engagea la conversation sur le football. La glace était brisée, les deux hommes sympathisèrent et l'ambiance du tournage fut constamment au beau fixe. Ils parlaient très peu métier mais toujours de sport.