Les Allemands l'appelaient « Seelchen ». Fleur bleue. Un surnom dont elle avait hérité lorsqu'ils l'avaient découverte, en 1948, dans « L'ange à la trompette ». Nimbée de lumière, dans sa splendeur virginale de ses 22 ans, elle leur était apparue comme une promesse de temps meilleurs, au milieu du champ de ruines qu'était l'Allemagne de l'immédiat après-guerre. Les blondes aux yeux verts ne manquent pas outre-Rhin. Mais le charme et la singularité de Maria Schell tenaient dans cette alliance curieuse et paradoxale d'un visage aux traits délicats et angéliques et d'un corps vigoureux et solide qui l'ancrait dans la réalité du quotidien. Une dualité on ne peut mieux exprimée par le personnage de l'infirmière allemande enlevée par des partisans yougoslaves dans « Le dernier pont » : la tête dans les nuages et les deux pieds dans la fange de la guerre. Pourtant, est-ce ses grands yeux mouillés ou l'ingénuité de ses traits, le cinéma ne devait retenir que l'aspect romantique de sa personnalité, au risque, vérifié d'ailleurs, que le temps ne lui dérobe à terme ce seul atout.
MARIA SCHELL
Les Français la découvrent, beauté lumineuse et attendrissante, dans le rôle de Gervaise, la blanchisseuse de « L'assommoir », de Zola. Maîtresse délaissée de Lantier et épouse humiliée de Coupeau dont le rêve de respectabilité va se noyer dans l'alcool, Gervaise est l'archétype autour duquel va graviter la carrière de la jeune Maria Schell, celui de la victime désignée des hommes, de la pauvresse que son excessive sensibilité voue à la misère sentimentale. Lorsque les Français la retrouveront, quelque dix ans plus tard, dans « Le diable par la
queue », la quarantaine, une nouvelle identité cinématographique semblera s'offrir à elle. Mais la métamorphose vient trop tard. Le cinéma est en crise, comme la société. Et, si ce n'est quelques figurations internationales et un repli sur la scène germanique, on n'entendra plus guère parler de celle qui, avant que ne paraisse Romy Schneider, passait pour l'une des comédiennes d'expression allemande les plus universelles, au point que les chroniqueurs en avaient fait « la star de l'ère Adenauer », par référence à l'inspirateur de la renaissance allemande, entre 1949 et 1963.
Née à Vienne (Autriche) le 15 janvier 1926, Margarethe Schell — « Gritli » pour les intimes — était la fille d'une comédienne locale et d'un dramaturge suisse, et la sœur des comédiens Maximilian et Cari Schell. Elle a 12 ans lorsque sa famille fuit l'Autriche annexée au Reich par Adolf Hitler et se réfugie en Suisse. C'est dans un pensionnat religieux de Colmar, en Alsace, qu'elle accomplira une partie de sa scolarité et à Zurich qu'elle bouclera des études commerciales, avant de choisir la voie ouverte par sa mère. Bon sang ne pouvait en effet mentir, et la voilà, pour la première fois, sur les planches, après un séjour de trois mois dans une école d'art dramatique et de chant de Zurich. A l'époque, un incident laisse déjà augurer son ambition, mais aussi un caractère qui, plus d'une fois, démentira son angélique et trompeuse apparence. A l'occasion d'une représentation scolaire, elle se heurte à la foule, qui s'agglutine dans le foyer du théâtre, et joue des coudes pour se frayer un passage. « Mais pour qui vous prenez-vous ? » aboie une jeune femme excédée par son sans-gêne. « Pour la vedette ! » ré-torque-t-elle d'une voix claire et sonore, tout en poursuivant son chemin à travers la multitude qui à présent s'écarte devant elle. Entre-temps, elle a fait de modestes débuts au cinéma, dans un mélodrame helvétique aux côtés de sa mère, Margarete Noé von Nordberg.
Au lendemain de la guerre, à 20 ans, elle fait ses débuts sur les scènes de Berne et de Vienne. Alors qu'elle joue « Le malade imaginaire » au Kanmier-spiele de la capitale autrichienne, elle se voit offrir le rôle de la pianiste Selma Rosner dans « L'ange à la trompette », sans se douter de la notoriété que, bientôt, il lui apportera. Dans son autobiographie, « Mein Weg », Karl-heinz Bôhm, alors simple figurant, observe l'intense et inhabituelle concentration d'esprit dont elle fait déjà preuve dans sa démarche créatrice. Forte de la popularité que lui a valu le drame de Karl Hartl, Maria Schell affine son expérience théâtrale sur la scène viennoise, tandis qu'au cinéma, son image se précise dans des mélodrames intensément larmoyants, où sa feinte fragilité émeut les âmes tendres. Ainsi le producteur britannique Alexander Korda, qui l'invite à Londres et lui signe un contrat de sept ans. Peu contraignant, dans la mesure où il n'est pas exclusif et lui permet, entre deux prestations outre-Manche, de poursuivre ses activités théâtrales et cinématographiques au pays. Elle aurait tort Je s'en priver, car sa popularité est au zénith. Dans « Un jour viendra », comme dans « Dr. Holl », le couple harmonieux qu'elle forme avec Dieter Borsche envoûte à ce point le public qu'on leur attribue une liaison passionnelle hors plateau. Maria ne devait pourtant vivre le grand amour qu'en 1954, sur le tournage du « Dernier pont », où elle fera la connaissance de Horst Haechler, acteur et réalisateur assistant. Un film faste à double titre, puisque la distinction qu'il lui vaudra à Cannes la fera connaître des Français et des Italiens, mais aussi des Américains. En France, pour Guitry, elle se glisse tout naturellement dans le personnage de l'épouse autrichienne de Napoléon. Avec une moindre évidence dans celui, bien français, de Gervaise, l'infortunée blanchisseuse de « L'assommoir », de Zola. Mais, pour ses beaux yeux, le public communie dans un même attendrissement, et le jury du Festival de Venise lui attribue, dans la foulée, la Coupe Volpi de la meilleure interprète. Si, en Italie, Visconti exploite la même veine mélodramatique et en fait l'amoureuse éplorée de « Nuits blanches », les Américains voient davantage en elle une battante et lui trouvent du sex-appeal, comme en témoigne son personnage de Grushenka dans « Les frères Karamazov ».
Pourtant, si son image auprès du public européen est celle d'une créature angélique, sa réputation auprès de ses confrères est celle d'une voleuse de scènes, ce qui lui vaut le surnom de « sergent prussien ». Bourreau de travail, elle avouait d'ailleurs, en 1960,
n'avoir pris que dix-huit jours de vacances depuis ses débuts. Mais cette orgie de travail n'est que le signe extérieur d'une passion pour son art et d'un abandon total à son métier. Est-ce cette primauté donnée à la poursuite de sa carrière qui explique l'échec de son mariage? Toujours est-il que les époux Haechler divorcent en 1965, après huit années de vie conjugale, et
malgré un fils (1962), dont la naissance aurait dû les réconcilier.
Les années 1960 voient un recentrage de ses activités autour du théâtre. Absente des écrans pendant cinq ans, elle n'v revient qu'en 1968, époque où, délivrée par l'âge de la réputation d'ingénue un peu bécasse qui lui collait à la peau, elle tourne l'exquise comédie de Philippe de Broca « Le diable par la queue ». Un faux retour aux affaires, en réalité, car, si elle ne quitte pas le devant de la scène, c'est essentiellement le public germanique qui profitera de sa présence. De plus en plus rarement, on la retrouve dans des productions internationales telles que « Le voyage des damnés » ou, plus fugitivement, dans « Superman » et « Folies bourgeoises », de Chabrol.
En 1991, alors qu'on la croyait vieille dame heureuse dans sa ferme de Carinthie, une tentative de suicide nous rappelle le mal-être de ces comédiennes que la limite d'âge a rejetées dans l'ombre. Son rôle dans la série « Die glùckliche Familie » (1987-1993), où il lui fallait feindre sa propre mort, avait-il inspiré son geste au terme d'une longue période de dépression? Elle en conviendra tacitement. A l'exception de la série « Maria des eaux-vives » (1993), où elle incarne une religieuse tirée de ses trente années de claustration par des impératifs familiaux, on n'entendra plus guère parler de Maria Schell désormais. Jusqu'à ce 14 décembre 2001, lorsque la télévision allemande diffuse le déroutant documentaire de son frère Maximilian, qui livre au public le quotidien d'une vieille dame gardant le lit, dans la solitude de sa ferme des pré-Alpes, _
jour et nuit.
Le 26 avril 2005, au terme d'une fin de vie assombrie par les dépressions, les attaques cérébrales et la solitude, Maria Schell s'éteignait, entourée des photos des personnes jadis aimées, où Visconti et Léonard Bernstein voisinaient avec O. W. Fischer et Curd Jùrgens.
SIGFRID STEINER...STEIBRUCH...1942
SIGFRID STEINER...MATURA REISE...1943
KARL HARTL...DER ANGEL MIT DER POSAUNE...1948
HANS THIMIG...MARESI...1948
GUSTAV UCICKY...APRES L'ORAGE...NACH DEM STURM...1948
EUGEN YORK...DIE LETZE NACHT...1949
ANTHONY BUSHELL...THE ANGEL WITH TROMPET...1950
RUDOLPF JUGERT...UN JOUR VIENDRA...ES KOMMT EIN TAG...1950
ROLF HANSEN...DR HOLL...1950
JOHN BOULTING...LA BOITE MAGIQUE...THE MAGIC BOX...1951
COMPTON BENNETT...JE NE SUIS PAS UNE HEROINE...SO LITTLE TIME...1951
GUSTAV UCICKY...AU REVOIR MON AMOUR...BIS WIR UNS WIEDERSEHEN...1952
JOSEF VON BAKY...LE REVE BRISE...DER TRAUMENDE MUND...1952
GEORGE MORE O FERRAL...LE FOND DU PROBLEME...THE HEART OF THE MATTER...1953
JOSEF VON BAKY...JOURNAL D'UNE AMOUREUSE...TAGEBUCH EINER VERLIEBTEN...1953
HARALD BRAUN...TANT QUE TU M'AIMERAS...SOLANGE DU DA BIS...1953
HELMUT KAUTNER...LE DERNIER PONT...DIE LETZE BRUCKE...1954
VICTOR VICAS...DANS TES BRAS...HERR UBER LEBEN UND TOD...1954
SACHA GUITRY...NAPOLEON...1954
HORST HAECHLER...URAGANO SUL PO...NAPOLEON...1955
ROBERT SIODMAK...LES RATS...DIE RATTEN...1955
CARL FROELICH...REIFENDE JUGEND...REIFENDE JUGEND...1955
RENE CLEMENT...GERVAISE...1955
HORST HAECHLER...TANT QUE MON CŒUR BATTRA...LIEBE...1956
WOLFGANG STAUDTE...RODE...ROSE BERND...1956
LUCHINO VISCONTI...NUITS BLANCHES...NOTTI BIANCHE...1957
RICHARD BROOKS...LES FRERES KARAMAZOV...THE BROTHERS KARAMAZOV...1957
ALEXANDRE ASTRUC...UNE VIE...1957
HELMUT KAUTNER...LE BRIGAND AU GRAND CŒUR...DER SCHINDERHANNES...1958
DELMER DAVES...LE COLLINE DES POTENCES...THE HANGING TREE...1958
ALFRED BRAUN...MORGEB WIRST DU UM MICH WEINEN....1959
HORST HAECHLER...RAUBFISCHER IN HELLAS...1959
ANTHONY MANN...LA RUEE VERS L'OUEST...CIMARRON...1960
GUY GREEN...THE MARK...THE MARK...1960
GEZA VON RADVANYI...LA GRANDE ROUE...DAS RIESERAD...1961
ALFRED WEIDENMANN...ICH BIN AUCH NUR EINE FRAU...1962
PIERRE CHENAL...L'ASSASSIN CONNAÎT LA MUSIQUE...1963
GUNTER GRAWERT...ZWEI WHISKY UND EIN SOFA...1963
PHILIPPE DE BROCA...LE DIABLE PAR LA QUEUE...1968
JESS FRANCO...NOVENTA Y NUEVE MUJERES...1968
ANDRE CHARPAK...LA PROVOCATION...1969
JESS FRANCO...DER HEXENTOTER VON BLACKMOOR...1969
VEIT RELIN...CHAMSIN...CHAMSIN...1970
RICHARD BALDUCCI...DANS LA POUSSIERE DU CHEMIN...1970
VEIT RELIN...DIE PFARRHAUSKOMODIE....1971
RONALD NEAME...LE DOSSIER ODESSA...THE ODESSA FILE...1974
BERND FISCHRAUER...CHANGE...1976
STUART ROSENBERG...LE VOYAGE DES DAMNES...VOYAGE OF THE DAMNED...1976
CHRISTIAN HOHOFF...SPIEL DER VERLIERER...1978
DAVID HEMMINGS...GIGOLO...SCHONER GIGOLO ARMER GIGOLO...1978
RICHARD DONNER...SUPERMAN...1978
MICHAEL ANDERSON...LES CHRONIQUES MARTIENNES...THE MARTIAN CHRONICLES...1978
KLAUS EMMERICH...DIE ERSTE POLKA...1978
FRANZ JOSEF WILD...FRAU JENNY TREIBEL...1981
JACQUES ROUFFIO...LA PASSANTE DU SANS SOUCI...1981
MILOSLAV LUTHER...KRAL DROZDIA BRADA...1984
HUGH BRADY...1919...1984