DELPHINE SEYRIG actrice à la voix suave, enivrante, à la musique inimitable était née le 10 avril 1932 à Beyrouth (Liban), où son père était directeur de l'Institut archéologique, avant de devenir ambassadeur culturel de la France libre à Washington pendant la guerre. A la Libération, la famille regagne la France et Paris, où M. Seyrig est nommé conservateur de musée, tandis que sa fille interrompt ses études secondaires pour se lancer, en 1949, dans l'aventure théâtrale. D'abord au Centre dramatique de l'Est parisien (1952-1953), dirigé par Michel Saint-Denis, puis à la Comédie de Saint-Etienne, sous le magistère de Jean Dasté. En 1952, elle joue au Théâtre parisien de l'Œuvre une comédie musicale de Louis Ducreux, « L'amour en papier ». Mais c'est au Théâtre des Nations, dans le cadre du Festival de Paris (1954), qu'elle obtient sa première reconnaissance publique dans l'« Ondine » de Jean Giraudoux, rôle repris à Odile Versois lorsque celle-ci avait été appelée en Angleterre pour un tournage. En 1956, elle s'envole pour les Etats-Unis, dont elle maîtrise la langue aussi bien que le français. Elle devait y demeurer trois ans, peaufinant son métier au contact de Lee Strasberg et de l'Actors Studio de New York, où elle est inscrite en qualité d'élève libre. Quelques années plus tard, Delphine Seyrig sera un instrument majeur dans la venue de Strasberg à Paris, où ses conférences impressionneront le milieu théâtral français. Parallèlement, la jeune comédienne met en pratique l'enseignement reçu en s'investissant dans plusieurs productions locales (Connecticut) et en marge de Broadway. L'une d'elles, « Henry IV », de Pirandello, pourtant avec Burgess Meredith et Alida Valli, sera un énorme échec, et Delphine Seyrig connaîtra la déprimante expérience de voir le producteur brûler les décors. C'est de cette époque que date également l'un des rares faits connus de sa vie privée : son mariage avec le peintre américain Jack Youngerman, dont elle aura un fils en 1958.
Alain Resnais découvre la future interprète de « L'année dernière à Marienbad » sur la scène new-yorkaise, où elle joue en anglais « L'ennemi du peuple », d'Ibsen, dans une traduction d'Arthur Miller. Hormis un court métrage, Delphine Seyrig n'avait pas encore fait de cinéma. Poème cinématographique étrange, qui défie la raison, et comme en apesanteur de tout ce qui se faisait à l'époque, « L'année dernière à Marienbad » sera couronné du Lion d'Or à la Mostra de Venise et vaudra à son interprète la réputation de « dame distinguée », qui devait lui rester à jamais acquise. Une notoriété encore fortifiée par le personnage désincarné de Muriel, deux ans plus tard, sur le thème analogue de la mémoire, de l'amnésie et du temps qui passe.
C'est au théâtre, où elle revient régulièrement, que Delphine Seyrig est la plus accessible. Dans « Un mois à la campagne » (1964), de Tourgueniev, dans « La prochaine fois, je vous le chanterai » (1966), de Saunders, ou dans « Rosencrantz et Guildenstern sont morts » (1968), de Paul Stoppard. Car à l'écran, le grand du moins, elle persiste à aller vers l'expérimental, l'onirique et le fantastique, avec des auteurs et cinéastes comme Marguerite Duras, Luis Bunuel, le photographe de mode William Klein et Harry Kùmel, fortement imprégné du surréalisme pictural belge. Mais là où Marguerite Duras abuse de l'image de beauté lointaine et aristocratique qui lui est attachée (« India song »), Chantai Akerman en prend le contre-pied lorsqu'elle fait de la comédienne une femme de ménage peleuse de patates dans « Jeanne Dielman... ». « On ne me croira pas », dira-t-elle, « mais je suis plus proche de ce personnage que de celui de Marienbad. » Il n'empêche que Delphine Seyrig a une haute conscience de son métier et refuse « les personnages abêtissants, avilissants et loin d'une réalité qui doit demeurer plus poétique que réaliste ».
Sa rigueur, un mot qu'elle préférait à élitisme, n'excluait pas la légèreté de comédies et de chroniques comme le tendre et subtil « Baisers volés » ou le charmant « Golden eighties », voire ses compromis coupables avec des coproductions internationales par seul souci économique, comme elle ne s'en cachait d'ailleurs pas. Mais, toujours, l'aspect plus grave de sa personnalité reprenait le dessus, et son engagement pour la cause féministe, sous le double signe de sa fréquente collaboration avec des réalisatrices et de sa présidence, à partir de 1982, du Centre audiovisuel Simone-de-Beauvoir, regroupant des œuvres cinématographiques de et avec les femmes, en était la manifestation la plus apparente. Même constat au théâtre, où, pour un « Tartuffe », combien de « Larmes amères de Petra Von Kant » et de « Letters home » ? Mais la comédie n'était pas le genre dans lequel le public la préférait. D'autant que si sa voix profonde et sensuelle (« On dirait qu'elle vient de manger un fruit et que sa bouche en est encore tout humectée », disait Marguerite Duras) convenait parfaitement à la reine de « Peau d'Ane », elle s'accordait mieux encore à des personnages de divas comme Sarah Bernhardt (« Sarah et le cri de la langouste », 1982) ou d'amantes fiévreuses comme Madame de Mort-sauf (« Le lys dans la vallée », pour la TV).
Comédienne secrète, sans scandale ni tapage, Delphine Seyrig n'avait jamais rien laissé paraître de la maladie qui la rongeait, sinon sa renonciation, en septembre 1990, à jouer la pièce de Peter Shaffer « Laetitia » chez Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Un mois plus tard, le 16 octobre, on apprenait que cette sublime actrice avait succombé à un cancer.
Sa filmographie
…L'ANNEE DERNIERE A MARIENBAD …1960
ALAIN RESNAIS… MURIEL OU LE TEMPS D'UN RETOUR …1962
WILLIAM KLEIN… QUI ETES-VOUS POLLY MAGOO ?...1965
COMEDIE … 1966
MARGUERITE DURAS …LA MUSICA …1966
JOSEPH LOSEY… ACCIDENT …1967
WILLIAM KLEIN… MR. FREEDOM …1968
FRANÇOIS TRUFFAUT…BAISERS VOLES…1968
LUIS BUNUEL…LA VOIE LACTEE…1969
HARRY KUMEL… LES LEVRES ROUGES 1970
JACQUES DEMY …PEAU D'ANE …1970
LE JOURNAL D’UN SUICIDE … STANISLAV STANOJEVIC…1972
LUIS BUNUEL… LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE …1972
FRED ZINNEMANN ….CHACAL… THEDAY OF THE JACKAL …1972
JOSEPH LOSEY …MAISON DE POUPEE…A DOLL'S HOUSE …1972
DON SIEGEL…CONTRE UNE POIGNEE DE DIAMANTS…THE BLACK WIND…1973
PIERRE GRIMBLAT… DITES-LE AVEC DES FLEURS …1973
CLAUDE LALLEMAND… LE CRI DU CŒUR …1974
PATRICK DE MERVELEC… L'ATELIER…1974
MARGUERITE DURAS… INDIA SONG …1974
GUY GILLES …LE JARDIN QUI BASCULE …1974
ROBERT VAN ACKEREN…LE DERNIER CRI …DER LETZTE SCHREI …1974
FRANÇOIS WEYERGANS …JE T'AIME, TU DANSES …1975
LILIANE DE KERMADEC …ALOI'SE …1975
VOYAGE EN AMERIQUE ...1975
JEROME SAVARY ….LE BOUCHER, LA STAR ET L'ORPHELINE …1975
CHANTAI AKERMAN… JEANNE DIELMAN, 23 QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES …1975
MARIO MONICELLI …CARO MICHELE …1675
MARGUERITE DURAS …SON NOM DE VENISE DANS CALCUTTA DESERT …1976
MARGUERITE DURAS …BAXTER, VERA BAXTER …1976
DELPHINE SEYRIG… SOIS BELLE ET TAIS-TOI ..1977
MICHEL SOUTTER …REPERAGES …1977
PATRICIA MORAZ …LE CHEMIN PERDU …1979
MARTA MESZAROS …UT-KOZBEN …1979
MOSHE MIZRAHI …CHERE INCONNUE …1980
ULRIKE OTTINGER ….FREAK ORLANDO …1981
POMME METTRE ….LE GRAIN DE SABLE …1982
ULRIKE OTTINGER …DORIAN GRAY IM SPIEGEL DER BOULEVARDPRESSE …1983
CHANTAL AKERMAN …GOLDEN EIGHTIES …1985
BRIGITTE ROUAN …GROSSE …1985
CHANTAI AKERMAN …LETTERS HOME …1986
ULRIKE OTTINGER …JOHANA D'ARC OF MONGOLIA …1988
A LA TV, NOTAMMENT : « GEORGE ET MARGARET » (1956, DE MARCEL CRAVENNE), « LE TROISIEME CONCERTO » (1963, DE MARCEL CRAVENNE), « UN MOIS A LA CAMPAGNE » (1966, D'ANDRE BARSACQ), « HEDDA GABIER » (1967, DE RAYMOND ROULEAU), « LE LYS DANS LA VALLEE » (1969, DE MARCEL CRAVENNE), « TARTUFFE » (1970, DE MARCEL CRAVENNE), « THE AMBASSADORS » (1977, DE JAMES CELLAN JONES), « LE PETIT POMMIER » (1980, DE LILIANE DE KERMADEC), « LES ETONNEMENTS D'UN COUPLE MODERNE » (1985, DE PIERRE BOUTRON), « SARAH ET LE CRI DE LA LANGOUSTE » (1985, DE MARCEL BLUWAL), « SEVEN WOMEN, SE-VEN SINS » (1987, DE CHANTAI AKERMAN), « LA BETE DANS LA JUNGLE » (1988, DE BENOIT JACQUOT), « LE MOT DE LA FIN >» (1988, DE JACQUES DERAY), « UNE SAISON DE FEUILLES » (1989, DE SERGE LEROY).