"Jean Vilar était un homme extrêmement discret et pudique, de ces hommes qui, s'ils sont chaleureux, ne sont pas pour autant immédiatement familiers comme c'est souvent le cas dans ce milieu (ce qui me gêne toujours). Il était le contraire de quelqu'un qui tutoie facilement ou qui met immédiatement la main sur l'épaule, quand il n'embrasse pas... Il fallait le temps de connaître Jean Vilar, et pour nous qui sommes quelques-uns à avoir débuté avec lui, ce n'était pas gênant; il n'empêche que les gens qui sont venus travailler au TNP dans le cadre d'un ou deux spectacles sont en général restés étonnés — et presque frustrés — de cette discrétion qu'on pouvait prendre pour de la distance. Mais intérieurement, c'était un homme extrêmement sensible qui a aimé de façon passionnelle la troupe dont il assumait la direction. En plus de toutes ses satisfactions professionnelles, il a d'ailleurs écrit qu'il lui restait un souvenir impérissable : celui d'une troupe. Et pour qu'il l'avoue, il fallait véritablement que ce fût profond.
« Il est difficile de parler de périodes comme celle que nous avons vécue avec Vilar car on a toujours tendance à embellir ce passé qui représente quand même notre jeunesse. Je suis pourtant persuadé que si vous interrogiez nombre de gens de l'époque, Monique Chaumette bien sûr — la femme de Philippe Noiret qui a connu le TNP pendant dix ans — mais aussi Maria Casarès, Georges Wilson, Daniel Ivernel, Michel Bouquet ou Jean-Pierre Darras, vous obtiendrez les mêmes échos. Tous en ont été profondément marqués, d'autant plus qu'il s'est agi pour chacun de la période la plus importante de leur vie de comédien.
On ne pouvait qu'être fasciné par cet homme qui avait recréé le théâtre populaire — ce qui était quand même une nouveauté — et qui parallèlement, était un des plus grands hommes de théâtre de l'après-guerre. D'ailleurs, si on reprend la liste des gens qui l'entouraient, on découvre vite une troupe de base assez étonnante...
« Pour nous comédiens, la vie avec Jean Vilar était fantastique. On jouait des textes magnifiques, on se promenait dans le monde entier et on touchait un public nouveau qui, jusqu'à présent, n'avait pas tellement eu l'occasion d'aller au théâtre, et qui le découvrait donc par notre intermédiaire. On avait par conséquent toutes les bonnes raisons de nager dans un bonheur complet."