"La rencontre a lieu. Godard m'adresse à peine la parole, l'air excédé derrière ses grosses lunettes, et cependant oui, il est d'accord, nous allons tourner ensemble. Quoi? Il ne me le dit pas. Peut-être ne le sait-il pas encore. Quand je lui demande pourquoi il consent à ce sacrifice (Ne le prenez pas mal, Jean-Luc, c'est de l'humour...) il a cette réponse qui me passe l'envie de rire : Parce que vous m'êtes antipathique, parce que je n'aime pas le personnage que vous êtes dans vos films, comme dans la vie, et que le personnage de mon film doit être antipathique. Ah, j'oubliais : vos cheveux sont trop blonds, faites-les châtain clair. Et venez sans maquillage, juste un peu les yeux, et encore... Bon, je vous rappelle!
Et il me rappelle, en effet. Pas un mot sur le film, sur mon rôle, mais il faut, me dit-il, que nous songions à m'habiller. Et il me fixe rendez-vous dans une boutique de la rue Tronchet. Il arrive avec sa femme, la comédienne (et futur écrivain) Anne Wiazemsky, qui me plaît immédiatement, même si nous n'avons pas trop à cœur à bavarder. Et là, je vois qu'il me choisit tout ce qu'il y a de plus ordinaire, des pulls étriqués un peu criards, des jupes moulantes, non pas vulgaires, mail petits-bourgeois, comme on dira bientôt. Je ne discute pas, naturellement. À la fin, quand il a trouve ce qu'il cherchait pour moi, je repère un manteau kaki magnifique, coupe un peu militaire, très long, et je le prends
— Mais ce n'est pas du tout le style de votre personnage! proteste Godard.
— Je sais. Enfin, je m'en doute. C'est pour moi, pas pour le film..."
Extrait du livre de Mireille Darc